Vive le buis!
Certains ont envoyé leurs buis en enfer uniquement parce qu’ils n’étaient pas capables d’appliquer quelques principes élémentaires pour sa culture, principes d’autant plus indispensables à une période où le buis devait faire face à quelques ennemis, champignons et papillons.
Il faut bien dire que certains journaux de l’apocalypse ont préféré mettre un coup de projecteur sur quelques cas désespérés (on en connaît pourtant les causes !) plutôt que d’informer le grand public sur la grande valeur patrimoniale du buis et en relayant les informations nécessaires pour le soigner.
Heureusement en mai dernier, Le Monde publiait un article salutaire qui va totalement dans le sens de notre action pour sa sauvegarde.
Gageons qu’il s’agit du début d’un reversement de tendance qui arrive à point nommé avec le recul des champignons mais aussi de la pyrale!
La disparition du buis serait un désastre écologique, économique et culturel
Le buis commun subit les ravages d’un papillon d’origine asiatique, détecté en Europe en 2007. Pour combattre la pyrale, l’entomologiste Hervé Jactel propose une stratégie de lutte biologique et des conservatoires botaniques pour sauvegarder le végétal.
Tribune. Dimanche 14 avril, une semaine avant Pâques. Les cloches sonnent dans mon village. Des fidèles se pressent à l’église, porteurs de rameaux à bénir. Ce sont quelques branches de buis, qu’ils conserveront pour protéger leur foyer. Mais cette tradition ne sera peut-être un jour qu’un lointain souvenir. Non pas que les chrétiens auront oublié le symbole, mais parce que le buis aura disparu.
Le buis commun (ou buis toujours vert, Buxus sempervirens) est un arbuste natif de nos contrées, présent depuis le sud-ouest de l’Europe jusqu’au Caucase. Particulièrement rustique, il pousse dans les sous-bois de nombreuses moyennes montagnes ou en plaine, s’accommodant de sols pauvres et secs. Déjà utilisé au paléo¬lithique pour la qualité de son bois, il est un composant emblématique du jardin à la française car ses petites feuilles et sa robustesse en font le matériau idéal pour l’art topiaire.
Rentabilité
Oui mais voilà. Le monde contemporain est tel qu’il est plus rentable d’élever en pot et de tailler les buis en Chine, d’en importer plus d’un million par an pour les revendre en Europe, que de les produire sur place. Oui mais voilà. Il advint un jour qu’un papillon asiatique, la pyrale du buis Cydalima perspectalis, pondit sur ces buis destinés à l’exportation. Les chenilles, arrivées saines et sauves en Europe, eurent tôt fait de se réveiller, donnant des papillons qui volèrent bientôt (ils peuvent parcourir plusieurs dizaines de kilomètres) vers des buis sauvages. Détectée pour la première fois en Allemagne en 2007, douze ans plus tard la pyrale du buis a envahi toute l’Europe, sauf la Scandinavie.
Ce phénomène vient à la suite de nombreuses introductions d’insectes exotiques dans les forêts européennes, en moyenne onze nouvelles espèces par an depuis le début des années 2000, avec un risque qui ne cesse de s’accélérer. En cause, l’augmentation exponentielle des échanges commerciaux, notamment avec l’Asie, et l’accélération du transport qui place désormais la Chine à dix jours de train de la France en suivant les « nouvelles routes de la soie« .
« LES DÉGÂTS SONT CONSIDÉRABLES, AUSSI BIEN DANS LES JARDINS QUE DANS LES SOUS-BOIS DE NOS FORÊTS, OFFRANT UN SPECTACLE DE DÉSOLATION »
L’invasion de la pyrale du buis serait passée inaperçue si l’insecte n’était un redoutable défoliateur, particulièrement prolifique (les femelles peuvent pondre jusqu’à mille œufs chacune). Ses chenilles sont très voraces, se nourrissant des feuilles, puis de l’écorce des jeunes pousses quand le feuillage a disparu. Si bien que les deux ou trois générations annuelles de l’insecte conduisent de plus en plus souvent à la mort du buis. Les dégâts sont considérables, aussi bien dans les jardins que dans les sous-bois de nos forêts, offrant un spectacle de désolation. Au point que les forestiers craignent désormais pour la survie de l’espèce en Europe !
Cette disparition serait un désastre écologique, économique et culturel. Ecologique car le buis en bonne santé participe au bon fonctionnement des écosystèmes forestiers et notamment leur régénération, réduit le risque d’avalanche et d’incendie, abrite quarante-trois espèces de champignons et dix-huit d’invertébrés strictement inféodés (qui disparaîtront avec la mort des buis). Socio-économique car le buis fournit une extraordinaire variété d’usages, depuis le bois tourné (flûtes et hautbois, pièces d’échec, chapelets, la plus ancienne tablette d’écriture an bois jamais découverte – 1400 ans avant J.-C. – était en buis) jusqu’aux décors des jardins mondialement célèbres de nos châteaux de la Loire ou du Périgord.
Il convient d’agir, et vite
Il existe bien une méthode efficace de lutte contre les chenilles de la pyrale, fondée sur la pulvérisation de la toxine Bt, la bactérie Bacillus thuringiensis. Mais cette méthode n’est pas spécifique, touchant toutes les espèces de papillons, et ne peut donc être appliquée en milieu naturel.
Il convient donc d’agir, et vite. Deux mesures sont à prendre en urgence. La première est de mettre au point une méthode de lutte biologique. Depuis l’échec malheureux de la lutte contre les pucerons à l’aide de la coccinelle asiatique, des progrès considérables ont été réalisés pour identifier des ennemis naturels beaucoup plus spécifiques, capables à la fois de contrôler très efficacement l’insecte ravageur cible tout en évitant qu’il ne s’attaque à la faune locale. Pour cela des procédures strictes ont été édictées, passant notamment par l’étude approfondie, en milieu confiné, de toutes les espèces potentiellement cibles de l’agent de lutte biologique. En ce qui concerne la pyrale du buis, cette approche passera par l’identification en Asie, dans l’aire naturelle du ravageur exotique, des ennemis naturels les plus efficaces et les plus spécifiques, sans doute des petites guêpes parasitoïdes. Elles seront élevées en quarantaine pour en tester l’innocuité sur les pyrales européennes, et si elles se révèlent inoffensives pour les espèces locales, elles pourront ensuite être relâchées dans la nature afin de contrôler la pyrale du buis.
Recensement des populations
L’utilisation d’un parasitoïde originaire de l’aire naturelle de l’insecte exotique à combattre reste en effet la méthode la plus efficace à ce jour pour lutter contre les ravageurs invasifs, avec déjà 172 succès dans le monde. En France, les lâchers d’une petite guêpe chinoise (Torymus sinensis) permettent de diminuer drastiquement les popu¬lations de l’agent asiatique des galles de châtaignier (Dryocosmus kuriphilus).
En attendant le déploiement de cette technique de lutte, qui prendra quelques années, il convient de sauvegarder le patrimoine naturel du buis en organisant des conservatoires botaniques spécifiques. Cette deuxième mesure passe par un recensement des populations survivantes de buis, afin d’en préserver la diversité génétique, puis par une transplantation d’individus représentatifs dans des zones hors forêt où des traitements au Bt pourront être appliqués en attendant la lutte biologique.
Ces deux solutions sont simples techniquement et finalement peu coûteuses au regard du bénéfice attendu. Au-delà du cas du buis, leur application permettrait de démontrer que nous pouvons lutter concrètement contre le fléau majeur des invasions biologiques et leurs conséquences catastrophiques pour l’homme et les écosystèmes en utilisant justement ce que la nature ¬offre de plus précieux, sa biodiversité.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
Le 1 mai 2019
La propagation de la pyrale
Réponse de Christophe Brua à notre demande de classement du buis comme espèce protégée.
Il faudrait déjà agir sur les voies de propagation du ravageur. On sait que la propagation sur de grandes distances est liées au commerce des buis. Il faudrait donc interdire ou fortement réglementer sa commercialisation. Les jardineries, supérettes et hypermarchés devraient vendre des buis traités, désinfectés (insecticide et fongicide) et contrôlés (correctement – passeport phytosanitaire international et national) par exemple par des arrêtés préfectoraux*. Le but étant de ralentir la propagation de la pyrale par les biais du commerce. La propagation naturelle n’est que de quelques kms par an (environ 2 kms/an sur Strasbourg).
Cela fait 10 ans que les pouvoirs publics ont l’occasion d’agir et que je les y invite !
Pourtant, l’impact sur les milieux naturels est loin d’être négligeable (défoliation d’hectares de forêts, de collines entières, risques de ravinement) et de nuisances (myriades de papillons gênant les terrasses de restaurateurs…).
Concernant les moyens de lutte que vous évoquez voici mon point de vue :
- Bassines de détergeant éclairées de nuit : cette méthode permet certes de tuer un grand nombre d’imagos des 2 sexes, cependant vu qu’elle n’est pas sélective elle ne doit pas être conseillée et encouragée. Inévitablement de nombreuses autres espèces d’insectes – dont certaines espèces peuvent être protégées par la loi – en seront aussi les victimes. Alors qu’il faudrait davantage protéger la biodiversité, ce type de carnage ne peut être cautionné et surtout si parallèlement vous demandez le statut d’espèce protégée pour le buis.
- Les trichogrammes sont une solution envisageable pour les parcs et jardins des espaces verts mais non transposables pour les milieux naturels (coût, temps de mise en œuvre, accessibilité…). En outre, l’impact des trichogrammes pourrait là aussi être néfaste et impactant pour des espèces non cibles de papillons composant notre faune locale. Là aussi il y aurait un risque non acceptable – qui nécessiterait d’être mieux évalué – pour la biodiversité si cela devait être pratiqué en milieu naturel. Heureusement, ces micro-guêpes sont peu mobiles et se cantonnent donc près des parcelles traitées, d’ailleurs c’est – à ce que j’ai pu constater – la même espèce que celle lâchée dans les champs de maïs.
- Le BTK est utilisable en parcs et jardins. Les pulvérisations dans des milieux naturels ne peut être cautionnée (cf. mes articles et son impact lors des pulvérisations sur des forêts alsaciennes). La difficulté pour le Grand public est qu’il agit lorsque c’est trop tard, lorsque les chenilles de grande taille ont déjà défolié le buis. Le BTK fonctionne bien sur les jeunes stades larvaires et son application doit être bien faite ce qui n’est pas facile pour beaucoup d’applicateurs.
Je suis aussi de votre avis que les colloques ne sont plus la plus pertinente des actions. Il vaut mieux mobiliser les médias – chose malaisée car le sensationnalisme l’emporte souvent au détriment du fond. La balle est entre les mains des élus qu’il faut correctement accompagner et orienter, l’administration exécutera.
Meilleures salutations
Christophe Brua
Président de la Société Alsacienne d’Entomologie
Membre du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel Grand Est
*Il serait aujourd’hui très imprudent de planter des buis à la provenance douteuse dans vos jardins* ! La pyrale arrive avec le commerce du buis et non par ses propres moyens puisqu’elle ne se déplace que de 2 kms par an environ. Seuls quelques pépiniéristes membres d’EBTS peuvent garantir l’état sanitaire de leurs buis
Même les parties de pétanques sont menacées!
« Le buis est un végétal qui pousse très lentement sur des sols calcaires, d’où la qualité du bois qui est considéré comme dur, détaille le spécialiste des forêts Pierre Girard. Il est utilisé pour des usages confidentiels comme la fabrication de pipes ». Mais aussi (et surtout), c’est en buis que sont façonnés… les cochonnets ! La Tournerie Monneret basée à Jeurre dans le Jura est le seul fabricant français de « petits ». Chaque année, la tournerie produit 1 million de buts qu’elle distribue auprès des grandes marques et de la fédération française pour les compétitions officielles. Et selon France Bleu Jura, son activité serait menacée par la pyrale du buis, un arbre très présent dans les forêts jurassiennes : « Pour maintenir son activité, le patron empile les stocks : d’habitude il écoule 200 tonnes de buis par an, coupés dans un rayon de 50 km à la ronde. Cette année, il en stocke plus de 500 tonnes et espère pouvoir récupérer du bois pour les dix prochaines années ». De quoi rassurer pendant un temps, les boulistes, notamment en Haute-Garonne, département qui compte le plus grand nombre de licenciés en France.
In La Dépêche – 14/07/19